Un cabinet de grandes curiosités

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Un cabinet de grandes curiosités

Messagepar Marianne » 30 Juin 2007 11:32

Le Palais Fortuny à Venise propose une saisissante exposition sur le temps dans l'art.

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C'est davantage une expérience sensorielle qu'une visite traditionnelle, beaucoup plus un cabinet de curiosités qu'un musée académique. Passer ces jours-ci à Venise du Palazzo Grassi de François Pinault au proche Palazzo Fortuny, c'est troquer l'ennui distingué contre une émotion perturbante.

Au début du mois, alors que s'élançait la 52e Biennale d'art contemporain, les autorités vénitiennes ont ouvert avec faste un nouvel espace culturel: un palais gothique qui est la propriété de la ville depuis cinquante ans. Le Palais Fortuny tire son nom de son ex-propriétaire, le créateur espagnol Mariano Fortuny y Madrazo (1871-1949). Né à Grenade, arrivé à Venise à l'âge de 18 ans, cet artiste était fasciné par Wagner et son Gesamtkunstwerk, son ambition d'œuvre d'art total. Mariano Fortuny a aussi bien été peintre que photographe. Mais il reste connu pour ses inventions scénographiques (ses dispositifs de lumière indirecte équipaient les théâtres et opéras de toute l'Europe), ses mises en scène et surtout ses créations textiles. Ses somptueux imprimés et vêtements, fabriqués sur l'île de la Giudecca, étaient réputés dans le monde entier. Proust vouait une adoration sans bornes à Fortuny, au point de l'incorporer dans A la recherche du temps perdu («La robe de Fortuny que portait ce soir-là Albertine me semblait comme l'ombre tentatrice de cette invisible Venise...»).

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Messagepar Marianne » 30 Juin 2007 11:33

Légué à la ville après la mort du créateur, le palais a parfois servi de lieu d'expositions graphiques, ouvrant juste une salle aux visiteurs. La municipalité a récemment rénové en douceur l'entier du bâtiment, aux murs toujours couverts des tapisseries du maître, aux pièces plongées dans une lourde pénombre, à l'escalier naguère secret qui permet désormais de passer d'un étage à l'autre. Arrive sur ces entrefaites l'antiquaire et collectionneur d'Anvers Axel Vervoordt, fournisseur de la jet-set mondiale, dingue de beauté sous toutes ses formes. Le Belge voulait organiser une grande exposition à partir de sa propre collection pour fêter ses 60 ans. Il a convaincu les autorités de Venise de lui prêter le Palazzo Fortuny et il a demandé à Mattijs Visser (Kunst Palast de Düsseldorf) et Jean-Hubert Martin (ex-directeur de la Kunsthalle de Berne et du Centre Pompidou) de lui concevoir «Artempo», un ensemble éclectique de créations humaines sur le thème du temps.

Des commandes ont été passées à des artistes comme le Ghanéen Al Anatsui, qui a couvert la façade extérieure du palais d'une tenture en cannettes d'aluminium, ou au Britannique d'origine indienne Anish Kapoor, qui a installé au rez-de-chaussée un mur-miroir ondulé de 12 mètres de longueur, mur qui désoriente d'entrée de cause le visiteur. James Turrell a prêté l'une de ses extraordinaires installations lumineuses, des pièces ont été empruntées aux «musei civici» de Venise, dont ceux d'archéologie et de sciences naturelles, ou à d'autres musées et galeries du monde entier.

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Messagepar Marianne » 30 Juin 2007 11:35

«Artempo» trace donc le temps dans l'art. Les artistes contemporains qui ont fait du temps leur principal thème de réflexion, comme Roman Opalka ou On Kawara, sont bien sûr convoqués. L'intemporel est suggéré par le rapprochement de visages de Picasso, du néolithique ou de l'artiste italienne Marisa Merz. Le temps qui détruit se montre dans des vanités flamandes, des crânes gravés, des écorchés, un miroir brisé de Marcel Duchamp, une accumulation d'Arman, une oxydation à l'urine de Warhol, un corps tordu de Bacon. Les films d'Antonin Artaud, les sculptures phalliques d'un artiste d'Asie centrale qui a vécu il y a deux millénaires et de Louise Bourgeois qui va sur ses 96 ans dialoguent sans heurts, entre temps du même monde. Ce cabinet gothique de curiosités, qui oppose si habilement la vie et la mort, à Venise de surcroît, pourrait paraître suranné. Ce genre accumulatif, qui fait flèche de tout bois, est après tout à l'origine de nos musées modernes. C'est bien le contraire qui se produit. «Artempo» propose un stimulant mélange de genres et d'époques, une circulation globale de sens et d'intentions qui se coulent à merveille dans l'époque actuelle. Le palais renoue du coup avec son passé de laboratoire d'idées, d'atelier-capharnaüm qui multiplie les sources vives d'inspiration, que celles-ci surgissent des Cyclades au bronze ancien ou des empreintes d'Yves Klein.

S'il n'y a pas de passé ni de futur dans l'art, comme le notait Picasso, il y a désormais un musée qui suggère cette évidence mieux que les autres, la durée d'une exposition saisissante tout au moins.

«Artempo», Palazzo Fortuny, Venise,jusqu'au 7 octobre. Fermé le lundi et mardi. Infos: http://www.artempo.eu

(Article écrit par Luc Debraine, Venise pour la revue Le Temps.CH
Jeudi 28 juin 2007)
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Re: Un cabinet de grandes curiosités

Messagepar J@M » 30 Juin 2007 14:43

Marianne a écrit:Proust vouait une adoration sans bornes à Fortuny, au point de l'incorporer dans A la recherche du temps perdu («La robe de Fortuny que portait ce soir-là Albertine me semblait comme l'ombre tentatrice de cette invisible Venise...»).


Dans "Albertine disparue", Proust, admirant à l'Accademia le tableau de Carpaccio traitant un des "Miracle de la Sainte Croix" où l'on peut découvrir le pont en bois du Rialto, reconnait sur les épaules d'un des protagonistes le manteau que portait "son" Albertine lors d'une soirée Parisienne imaginant ainsi que Fortuny s'en était inspiré pour une de ses créations ...
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