par Didoom » 19 Fév 2008 17:05
un autre problème pointait le bout de son nez avec l'incendie du 26 décembre 1836 : dans quel théâtre pourrait être joué "Pia de’ Tolomei" ?
Sur les huit (!) en activité au début du XIXe siècle, quatre doivent fermer, selon l’observation du décret de 1807 fixant le nombre de théâtres d’une ville en fonction de celui de ses habitants…
Les Autrichiens, chassés par Napoléon Ier, sont de retour après 1815 et permettent la réouverture des théâtres. Voici donc quelle était la situation théâtrale vénitienne, au moment du désastre enlevant à la Cité des Doges son plus illustre lieu de spectacle.
Le Teatro San Moisè, érigé en 1620, avait hébergé les glorieux débuts de Rossini mais n’existait déjà plus, ayant été vendu en 1818 puis transformé en atelier de menuiserie.
Le Teatro di San Samuele, construit en 1655, privé lui aussi, connaissait bien des difficultés. On tenta bien une opération en 1819 pour lui redonner vigueur en commandant un opéra à un jeune compositeur -alors peu connu- nommé… Gaetano Donizetti ! La saison fut inaugurée le 26 décembre 1819, par la création de Pietro il Grande, czar delle Russie ossia Il falegname di Livonia, l’un de ses rares opéras à demeurer encore dans l’ombre jusqu’à la reprise du mois de mai 2003 à l’Opéra de Saint-Pétersbourg, puis au Festival de la Valle d’Itria à Martinafranca lors de l’été 2004. Le San Samuele passa ensuite de main en main, à la ville de Venise, redevint privé, fut restauré par un mécène et réinauguré en 1853 avec le Poliuto toujours du même compositeur ! L’accès malaisé par ruelles et détours, d’autant qu’il atteignait la belle capacité de 1300 spectateurs (en quatre étages de 130 loges et un étage de pigeonnier), contribua à en faire une salle secondaire, s’orientant de plus en plus vers ce que l’on nomme en Italie le « teatro di prosa », c’est-à -dire les pièces parlées. Lorsque le mécène mourut en 1889, léguant le S. Samuele à sa ville natale de Vérone, la commune de Venise l’acheta, le fit démolir et construisit une école sur son emplacement.
Le Teatro di San Giovanni Grisostomo, inauguré en 1678, devint rapidement le premier théâtre d’opéra de Venise pour sa grandeur, son luxe et la qualité de ses spectacles. Il devait maintenir cette suprématie durant soixante-dix ans puis fut entièrement rénové en 1834 et inauguré avec L’Elisir d’amore… (Gaetano semble décidément apprécié pour les inaugurations). Il offrait le chiffre imposant de 110 loges sur trois étages et un étage supplémentaire pour le poulailler. En 1835, le propriétaire réussit à s’assurer le concours de Maria Malibran dont La Sonnambula provoqua un fanatisme indescriptible… au point que le propriétaire renomma l’édifice Teatro Malibran, fier nom qu’il porte encore aujourd’hui, arborant au-dessus de l’ouverture de scène, un médaillon
représentant la tête de l’illustre cantatrice qui veille ainsi sur les 2500 spectateurs. Hélas quelque peu modernisé en 1971, il continue à recevoir des représentations d’opéras, particulièrement pendant la reconstruction de la Fenice, permettant notamment à l’impressionnant Marino Faliero
donizettien de retrouver les lieux de sa sombre intrigue.
Le Teatro di San Benedetto, inauguré en 1755, devait accueillir les créations rossiniennes de L’Italiana in Algeri (1816) et Eduardo e Cristina (1819). Son propriétaire (qui devait acheter également le San Giovanni Grisostomo) le fit restaurer en 1833 et 1847 et c’est les dorures refaites, les motifs floréaux ravivés et tout illuminé au gaz, que le Teatro Gallo, prenant le nom de son propriétaire devait permettre la revanche de La Traviata en 1854, après l’échec de la création à la Fenice. Il fut renommé Teatro Rossini en 1868 à l’occasion de la disparition du compositeur.
Offrant lui aussi une belle capacité de spectateurs (1300), il fut encore restauré en 1875 et accueillit la première représentation vénitienne de La Forza del destino. Il accepta le théâtre parlé, recevant notamment Sarah Bernhardt, puis les premières vénitiennes de I Pagliacci, Manon, La Bohème de Puccini, et Fedora de Giordano. Finissant par accueillir des projections cinématographiques, il fut démoli en 1951 et reconstruit en salle de cinéma.
Le Teatro di San Luca (nommé ainsi car il se trouvait dans le territoire de la paroisse San Luca) fut construit en bois en 1622 et mis en activité dès la fin de la même année. Il eut au cours du siècle suivant, l’honneur de s’attacher par contrat un auteur devant livrer huit comédies par an et
nommé… Carlo Goldoni ! (l’édifice se souviendra de ce nom, comme on le verra bientôt). Il bénéficia lui-aussi de la réouverture permise par le retour des Autrichiens en 1815, après restauration et inauguration par le couple impérial ! Il connut une restauration plus ample encore, trois ans plus tard, voyant ses « loges décorées de gracieux festons et arabesques », nous dit la Gazzetta privilegiata di Venezia du 19 novembre 1818. Le S. Luca reprit alors une place de premier plan dans les activités artistiques de la ville, se posant en digne concurrent de la Fenice.
Pour le spectacle d’inauguration du 14 novembre 1818, l’impresario Paolo Zancla commande un opéra à un compositeur inconnu, lui permettant ainsi de faire ses débuts dans la carrière. L’oeuvre, intitulée Enrico di Borgogna, est aussitôt remarquée par la critique, qui pressent une belle carrière pour ce jeune maestro ! …au fait, comment se nommait-il déjà ?… mais Gaetano Donizetti ! ! Le 28 septembre 1833 le San Luca devient Teatro Apollo et pour l’occasion améliore décorations et acoustique, se trouvant être le premier théâtre de Venise à offrir la grande nouveauté de
l’illumination au gaz. Si la Semiramide rossinienne est choisie pour l’inauguration, c’est une splendide Norma avec Giuditta Pasta, au printemps suivant, qui détermine le prestige du théâtre.
Après l’incendie du Teatro La Fenice, la Société de ses propriétaires stipule avec ceux de l’Apollo l’accord de recevoir ici la saison prévue à la Fenice et la Pia de’ Tolomei transporte donc ses tendres soupirs en ce théâtre. Seul le ballet traditionnellement donné entre les actes d’un opéra, ne pourra avoir lieu, la scène du Teatro Apollo étant trop exiguë 1 .
Il est donc curieux, « fatal » diraient les Romantiques, que Donizetti retrouve par l’incendie de la Fenice, le lieu de ses débuts ! On aimerait savoir s’il commenta le fait dans une lettre, mais celles qui nous sont parvenues n’en parlent pas.