"Il était une fois un roi fort riche en terres et en argent; ce roi n'avait eu qu'une fille de son premier mariage, qui passait pour la huitième merveille du monde, on la nommait Florine, parce qu'elle ressemblait à Flore, tant elle était fraîche, jeune et belle. On ne lui voyait guère d'habits magnifiques; elle aimait les robes de taffetas volant, avec quelques agrafes de pierreries et force guirlandes de fleurs, qui faisaient un effet admirable quand elles étaient placées dans ses beaux cheveux. Elle n'avait que quinze ans quand le roi se remaria.
La nouvelle reine avait, elle aussi, une fille qu'elle envoya quérir; celle-ci avait été nourrie chez sa marraine, la fée Soussio; mais elle n'en était ni plus gracieuse ni plus belle. On l'appelait Truitonne, car son visage avait autant de taches de rousseur qu'une truie; ses cheveux noirs étaient si gras et si crasseux que l'on n'y pouvait toucher, et sa peau jaune distillait de l'huile. La reine ne laissait pas de l'aimer à la folie, elle ne parlait que de la charmant Truitonne, et comme Florine avait toutes sortes d'avantages au-dessus d'elle, la reine s'en désespérait; elle cherchait tous les moyens possibles de la mettre mal auprès du roi.
Le roi dit un jour à la reine que Florine et Truitonne étaient assez grandes pour être mariées, et que le premier prince qui viendrait à la cour, il fallait faire en sorte de lui en donner une des deux. "Je prétends, répliqua la reine, que ma fille soit la première établie; elle est plus âgée que la vôtre, et, comme elle est mille fois plus aimable, il n'y a point à balancer là -dessus." Le roi, qui n'aimait point la dispute, lui qu'il le voulait bien, et qu'il l'en faisait la maîtresse.
A quelque temps de là l'on apprit que le roi Charmant devait arriver. L'on répandit aussi le bruit que son esprit et sa personne n'avaient rien qui ne répondit à son nom. Quand la reine sut ces nouvelles, elle employa tous les brodeurs, tous les tailleurs, et tous les ouvriers à faire des ajustements à Truitonne; elle pria le roi que Florine n'eût rien de neuf, et, ayant gagné ses femmes, elle lui fit voler tous ses habits, toutes ses coiffures et toutes ses pierreries le jour même que Charmant arriva; de sorte que, lorsqu'elle se voulut parer, elle ne trouva pas un ruban. Elle vit bien d'où lui venait ce bon office; elle envoya chez les marchands pour avoir des étoffes : ils répondirent que la reine avait défendu qu'on lui en donnât. Elle demeura donc avec une petite robe fort crasseuse, et sa honte était si grande qu'elle se mit dans le coin de la salle lorsque le roi Charmant arriva.
La reine le reçut avec de grandes cérémonies; elle lui présenta sa fille plus brillante que le soleil, et plus laide par toutes ses parures qu'elle ne l'était ordinairement. Le roi détourna les yeux; la reine voulait se persuader qu'elle lui plaisait trop et qu'il craignait de s'engager, de sorte qu'elle la faisait toujours mettre devant lui. Il demanda s'il n'y avait pas encore une autre princesse appelée Florine. "Oui, dit Truitonne, en la montrant avec le doigt; la voilà qui se cache, parce qu'elle n'est pas brave. " Florine rougit, et devint si belle, si belle, que le roi Charmant demeura comme un homme ébloui. Il se leva promptement, et fit une profonde révérence à la princesse. "Madame, lui dit-il, votre incomparable beauté vous pare trop pour que vous ayez besoin d'aucun secours étranger. -Seigneur, répliqua-t-elle, je vous avoue que je suis peu accoutumée à porter un habit aussi malpropre que l'est celui-ci, et vous m'auriez fait plaisir de ne pas vous apercevoir de moi. - Il serait impossible, s'écria Charmant, qu'une si merveilleuse princesse pût être en quelque lieu, et que l'on eût des yeux pour d'autres que pour elle. - Ah! dit la reine irritée, je passe bien mon temps à vous entendre; croyez-moi, Seigneur, Florine est déjà coquette assez, elle n'a pas besoin qu'on lui dise tant de galanteries." Le roi Charmant démêla aussitôt les motifs qui faisaient ainsi parler la reine, mais, comme il n'était pas de condition à se contraindre, il laissa paraître toute son admiration pour Florine et l'entretint trois heures de suite."
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