L'Oiseau Bleu

Petites histoires pour les grands enfants que nous sommes...

Modérateurs: Gilbert, Marianne, Nicole

L'Oiseau Bleu

Messagepar Marcello » 02 Avr 2008 21:25

"Il était une fois un roi fort riche en terres et en argent; ce roi n'avait eu qu'une fille de son premier mariage, qui passait pour la huitième merveille du monde, on la nommait Florine, parce qu'elle ressemblait à Flore, tant elle était fraîche, jeune et belle. On ne lui voyait guère d'habits magnifiques; elle aimait les robes de taffetas volant, avec quelques agrafes de pierreries et force guirlandes de fleurs, qui faisaient un effet admirable quand elles étaient placées dans ses beaux cheveux. Elle n'avait que quinze ans quand le roi se remaria.

La nouvelle reine avait, elle aussi, une fille qu'elle envoya quérir; celle-ci avait été nourrie chez sa marraine, la fée Soussio; mais elle n'en était ni plus gracieuse ni plus belle. On l'appelait Truitonne, car son visage avait autant de taches de rousseur qu'une truie; ses cheveux noirs étaient si gras et si crasseux que l'on n'y pouvait toucher, et sa peau jaune distillait de l'huile. La reine ne laissait pas de l'aimer à la folie, elle ne parlait que de la charmant Truitonne, et comme Florine avait toutes sortes d'avantages au-dessus d'elle, la reine s'en désespérait; elle cherchait tous les moyens possibles de la mettre mal auprès du roi.

Le roi dit un jour à la reine que Florine et Truitonne étaient assez grandes pour être mariées, et que le premier prince qui viendrait à la cour, il fallait faire en sorte de lui en donner une des deux. "Je prétends, répliqua la reine, que ma fille soit la première établie; elle est plus âgée que la vôtre, et, comme elle est mille fois plus aimable, il n'y a point à balancer là-dessus." Le roi, qui n'aimait point la dispute, lui qu'il le voulait bien, et qu'il l'en faisait la maîtresse.

A quelque temps de là l'on apprit que le roi Charmant devait arriver. L'on répandit aussi le bruit que son esprit et sa personne n'avaient rien qui ne répondit à son nom. Quand la reine sut ces nouvelles, elle employa tous les brodeurs, tous les tailleurs, et tous les ouvriers à faire des ajustements à Truitonne; elle pria le roi que Florine n'eût rien de neuf, et, ayant gagné ses femmes, elle lui fit voler tous ses habits, toutes ses coiffures et toutes ses pierreries le jour même que Charmant arriva; de sorte que, lorsqu'elle se voulut parer, elle ne trouva pas un ruban. Elle vit bien d'où lui venait ce bon office; elle envoya chez les marchands pour avoir des étoffes : ils répondirent que la reine avait défendu qu'on lui en donnât. Elle demeura donc avec une petite robe fort crasseuse, et sa honte était si grande qu'elle se mit dans le coin de la salle lorsque le roi Charmant arriva.

La reine le reçut avec de grandes cérémonies; elle lui présenta sa fille plus brillante que le soleil, et plus laide par toutes ses parures qu'elle ne l'était ordinairement. Le roi détourna les yeux; la reine voulait se persuader qu'elle lui plaisait trop et qu'il craignait de s'engager, de sorte qu'elle la faisait toujours mettre devant lui. Il demanda s'il n'y avait pas encore une autre princesse appelée Florine. "Oui, dit Truitonne, en la montrant avec le doigt; la voilà qui se cache, parce qu'elle n'est pas brave. " Florine rougit, et devint si belle, si belle, que le roi Charmant demeura comme un homme ébloui. Il se leva promptement, et fit une profonde révérence à la princesse. "Madame, lui dit-il, votre incomparable beauté vous pare trop pour que vous ayez besoin d'aucun secours étranger. -Seigneur, répliqua-t-elle, je vous avoue que je suis peu accoutumée à porter un habit aussi malpropre que l'est celui-ci, et vous m'auriez fait plaisir de ne pas vous apercevoir de moi. - Il serait impossible, s'écria Charmant, qu'une si merveilleuse princesse pût être en quelque lieu, et que l'on eût des yeux pour d'autres que pour elle. - Ah! dit la reine irritée, je passe bien mon temps à vous entendre; croyez-moi, Seigneur, Florine est déjà coquette assez, elle n'a pas besoin qu'on lui dise tant de galanteries." Le roi Charmant démêla aussitôt les motifs qui faisaient ainsi parler la reine, mais, comme il n'était pas de condition à se contraindre, il laissa paraître toute son admiration pour Florine et l'entretint trois heures de suite."

Suite au prochain épisode :roll:
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Messagepar Marcello » 05 Avr 2008 6:41

"La reine, au désespoir, et Truitonne inconsolable de n'avoir pas la préférence sur la princesse, firent de grandes plaintes au roi, et l'obligèrent de consentir que pendant le séjour du roi Charmant, l'on enfermerait Florine dans une tour où ils ne se verraient point. En effet, aussitôt qu'elle fut retournée dans sa chambre, quatre hommes masqués la portèrent au haut de la tour, et l'y laissèrent dans la dernière désolation, car elle vit bien que l'on n'en usait ainsi que pour l'empêcher de plaire au roi, qui lui plaisait fort déjà, et qu'elle aurait bien voulu pour époux.

Le roi Charmant, qui ne savait pas les violences que l'on venait de faire à la princesse, attendit l'heure de la revoir avec mille impatiences; il voulut parler d'elle à ceux que le roi avait mis auprès de lui pour lui faire plus d'honneur; mais, par l'ordre de la reine, ils lui en dirent tout le mal qu'ils purent : qu'elle était coquette, inégale, de méchante humeur; qu'elle tourmentait ses amis et ses domestiques; qu'on ne pouvait être plus malpropre, et qu'elle poussait si loin l'avarice qu'elle aimait mieux être habillée comme une petite bergère que d'acheter de riches étoffes de l'argent que lui donnait son père. A tout ce détail, Charmant souffrait et se sentait des mouvements de colère qu'il avait bien de la peine à modérer. " Non, disait-il en lui même, il est impossible que le Ciel ait mis une âme si mal fait dans ce chef-d'oeuvre de la nature : je conviens qu'elle n'était pas porprement mise quand je l'ai vue, mais la honte qu'elle en avait prouve assez qu'elle n'est point accoutumée à se voir ainsi. Quoi! elle serait mauvaise avec cet air de modestie et de douceur qui enchante?"

La reine, impatiente de savoir si le roi Charmant était bien touché, envoya quérir ceux qu'elle avait mis dans sa confidence, et elle passa le reste de la nuit à les questionner : tout ce qu'ils lui disaient ne servait qu'à confirmer l'opinion où elle était que le roi aimait Florine. Mais que vous dirais-je de la mélancolie de cette pauvre princesse? Elle était couchée par terre dans le donjon de cette terrible tour où les hommes masqués l'avaient emportée. "Je serais moins à plaindre, disait-elle, si l'on m'avait mise ici avant que j'eusse vu cet aimable roi. Je ne dois pas douter que c'est pour m'empêcher de le voir davantage que la reine me traite si curellement. Hélas! que le peu de beauté dont le Ciel m'a pourvue coûtera cher à mon repos!" Elle pleurait ensuite si amèrement, si amèrement , que sa propre ennemie en aurait eu pitié si elle avait été témoin de ses douleurs.

C'est ainsi que cette nuit se passa. La reine, qui voulait engager le roi Charmant par tous les témoignages qu'elle pourrait lui donner de son attention, lui envoya des habits d'une richesse et d'une magnificence sans pareille.

Le roi, à cette vue, demeura si surpris qu'il fut quelque temps sans parler; on lui présenta en même temps un livre, dont les feuilles étaient de vélin, avec des miniatures admirables et la couverture d'or, chargée de pierreries. L'on dit au roi que la princesse qu'il avait vue le priait d'être son chevalier,et qu'elle lui envoyait ce présent. "Quoi! la belle princesse Florine, s'écria-t-il, pense à moi d'une manière si généreuse et si engageante? - Seigneur, lui dit-on, vous vous méprenez au nom; nous venons de la part de l'aimable Truitonne. - C'est Truitonne qui me veut pour son cavalier! dit le roi d'un air froid et sérieux. Je suis fâché de ne pouvoir accepter cet honneur, mais un souverain n'est pas assez maître de lui pour prendre les engagements qu'il voudrait. " Il remit aussitôt les présents dans la même corbeille; puis il envoya tout chez la reine, qui pensa étouffer de rage avec sa fille, de la manière méprisante dont le roi étranger avait reçu une faveur si particulière.

Lorsqu'il put aller chez le roi et la reine, il se rendit dans leur appartement: il esperait que Florine y serait, il regardait de tous côtés pour la voir. Dès qu'il entendait rentrer quelqu'un dans la chambre, il tournait la tête brusquement vers la porte; il paraissait inquiet et chagrin. La malicieuse reine devinait assez ce qui ce passait dans son âme, mais elle n'en faisait pas semblant. Elle ne lui parlait que de parties de plaisir, il répondait tout de travers; enfin il demanda où était la princesse Florine. "Seigneur, lui dit fièrement la reine, le roi, son père, a défendu qu'elle sorte de chez elle jusqu'à ce que ma fille soit mariée. - Et quelle raison, répliqua le roi, peut-on avoir de tenir cette belle personne prisonnière? - Je l'ignore, dit la reine et, quand je le saurais, je pourrais me dispenser de vous le dire." Le roi se sentait dans une colère inconcevable; il regardait Truitonne de travers, et songeait en lui-même que c'était à cause de ce petit monstre qu'on lui dérobait le plaisir de voir la princesse. Il quitta promptement la reine; sa présence lui causait trop de peine.

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Bientôt.......... la suite
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Messagepar Marcello » 05 Avr 2008 22:26

" Quand il fut revenu dans sa chambre, il dit à un jeune prince qui l'avait accompagné, et qu'il aimait fort, de donner tout ce qu'on voudrait au monde pour gagner quelqu'une des femmes de la princesse, afin qu'il pût lui parler un moment. Ce prince trouva aisément des dames du palais qui entrèrent dans la confidence, il y en eut une qui l'assura que le soir même Florine serait à une petite fenêtre basse qui répondait sur le jardin, et que par là elle pourrait lui parler, pourvu qu'il prît de grandes précautions afin qu'on ne le sût pas. Le prince lui promit tout ce qu'elle voulait, et courut faire sa cour au roi en lui annonçant l'heure du rendez-vous. Mais la mauvaise confidente ne manqua pas d'aller avertir la reine de ce qui se passait et de prendre ses ordres. Aussitôt elle pensa qu'il fallait envoyer sa fille à la petite fenêtre; elle l'instruisit bien, et Truitonne ne manqua à rien, quoiqu'elle fût naturellement une grande bête.

La nuit était si noire qu'il aurait été impossible au roi de s'apercevoir de la tromperie qu'on lui faisait, quand bien même il n'aurait pas été aussi prévenu qu'il était, de sorte qu'il s'approcha de la fenêtre avec des transports de joie inexprimable : il dit à Truitonne tout ce qu'il aurait dit à Florine pour la persuader de sa passion. Truitonne lui dit qu'elle se trouvait la plus malheureuse personne au monde d'avoir une belle-mère si cruelle, et qu'elle aurait toujours à souffrir jusqu'à ce que Truitonne fût mariée. Le roi l'assura que, si elle le voulait pour son époux, il serait ravi de partager avec elle sa couronne et son coeur; et là-dessus il tira sa bague de son doigt, et, la mettant à celui de Truitonne, il ajouta que c'était un gage éternel de sa foi, et qu'elle n'avait qu'à prendre l'heure pour partir en diligence. Il ne la quitta qu'à condition de revenir le lendemain à pareille heure, ce qu'elle lui promit de tout son coeur.

En effet, le jour étant concerté, le roi vint la prendre dans une chaise volante, traînée par des grenouilles ailées : un enchanteur de ses amis lui avait fait ce présent. La nuit était fort noire. Truitonne sortit mystérieusement par une petite porte, et le roi, qui l'attendait, la reçut entre ses bras et lui jura cent fois une fidélité éternelle. Mais, comme il n'était pas d'humeur à voler longtemps dans sa chaise volante sans épouser la princesse qu'il aimait, il lui demanda où elle voulait que les noces se fissent. Elle lui dit qu'elle avait pour marraine une fée, qu'on nommait Soussio, qui était fort célèbre; qu'elle était d'avis d'aller à son château.

Le château était si bien éclairé qu'en arrivant le roi aurait connu son erreur, si la princesse ne s'était soigneusement couverte de son voile. Elle demanda sa marraine, elle lui parla en particulier, et lui conta comme quoi elle avait attrapé Charmant, et qu'elle la priait de l'apaiser. "Ah! ma fille, dit la fée, la chose ne sera pas facile, il aime trop Florine; je suis ceraine qu'il va nous faire désespérer." Quand elles entrèrent dans la salle, Soussio lui dit d'un ton absolu : "Roi Charmant, voici la princesse Truitonne, à laquelle vous avez donné votre foi; elle est ma filleule, et je souhaite que vous l'épousiez tout à l'heure.
- Moi, s'écria-t-il; moi! j'épouserais ce petit monstre! Vous me croyez d'un naturel bien docile quand vous me faites de telles propositions : sachez que je ne lui ai rien promis; si elle dit autrement, elle en a...
- N'achevez pas, interrompit Soussio, et ne soyez jamais assez hardi pour me manquer de respect.
- Je consens, répondit le roi, de vous respecter autant qu'une fée est respectable, pourvu que vous me rendiez ma princesse.
- Est-ce que je ne la suis pas, parjure? dit Truitonne en lui montrant sa bague. A qui as-tu donné cet anneau en gage de ta foi? A qui as-tu parlé à la petite fenêtre, si ce n'est à moi?
- Comment donc! reprit-il, j'ai été déçu et trompé? Non, non, je ne serai point la dupe. Allons, allons, mes grenouilles, mes grenouilles! je veux partir tout à l'heure.


- Oh! ce n'est pas une chose en votre pouvoir, si je n'y consens", dit Soussio.
Elle le toucha, et ses pieds s'attachèrent au parquet comme si l'on les y avait cloués. "Quand vous me lapideriez, lui dit le roi, quand vous m'écorcheriez, je ne serai point à une autre qu'à Florine; j'y suis résolu, et vous pouvez après cela user de votre pouvoir à votre gré." Soussio employa la douceur, les menaces, les promesses, les prières. Truitonne pleura, cria, gémit, se fâcha, s'apaisa. Le roi ne disait pas un mot, et, les regardant toutes deux avec l'air du monde le plus indigné, il ne répondait rien à tous leurs verbiages.

Il se passa ainsi vingt jours et vingt nuits sans qu'elles cessassent de parler, sans manger, sans dormir et sans s'asseoir. Enfin Soussio, à bout et fatiguée, dit au roi : "Oh bien, vous êtes opiniâtre qui ne voulez pas entendre raison; choisissez, ou d'être sept ans en pénitence pour avoir donné votre parole sans la tenir, ou d'épouser ma filleule." Le roi, qui avait gardé un profond silence, s'écria tout à coup : "Faites de moi tout ce que vous voudrez, pourvu que je sois délivré de cette maussade.
- C'est toi qui l'auras voulu! s'écria Soussio en colère, tu n'as qu'à t'envoler par cette fenêtre, car tu seras sept ans oiseau bleu."





La suite demain................... peut-être
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Messagepar Marcello » 08 Avr 2008 9:29

Episode 4

"En même temps le roi change de figure; ses bras se couvrent de plumes et forment des ailes; ses jambes et ses pieds deviennent noirs et menus; il lui croît des ongles crochus; son corps s'apetisse; il est tout garni de longues plumes fines et déliées de bleu céleste; ses yeux s'arrondissent et brillent comme des soleils; son nez n'est plus qu'un bec d'ivoire; il s'élève sur sa tête une aigrette blanche qui forme une couronne; il chante à ravir et parle de même. En cet état il jette un cri douloureux de se voir ainsi métamorphosé, et s'envole à tire d'aile pour fuir le funeste palais de Soussio.

D'un autre côté, la fée Soussio renvoya Truitonne à la reine, qui était bien inquiète comment les noces se seraient passées. Mais, quand elle vit sa fille et qu'elle lui raconta tout ce qui venait d'arriver, elle se mit dans une colère terrible, dont le contre-coup retomba sur la pauvre Florine. "Il faut, dit-elle, qu'elle se repente plus d'une fois d'avoir su plaire à Charmant." Elle monta dans la tour avec Truitonne, qu'elle avait parée de ses plus riches habits : elle portait une couronne de diamants sur sa tête, et elle avait au pouce l'anneau du roi Charmant, que Florine remarqua le jour qu'ils parlèrent ensemble; elle fut étrangement surprise de voir Truitonne dans un si somptueux appareil. "Voilà ma fille qui vient vous apporter des présents de sa noce, dit la reine; le roi Charmant l'a épousée." On étale aussitôt devant la princesse des étoffes d'or et d'argent, des pierreries, des dentelles, des rubans, qui étaient dans de grandes corbeilles en filigrane d'or. En lui présentant toutes ces choses, Truitonne ne manquait pas de faire briller l'anneau du roi; de sorte que, la princesse Florine ne pouvant plus douter de son malheur, elle s'écria d'un air désespéré, qu'on ôtât de ses yeux tous ces présents si funestes, qu'elle ne voulait plus porter que du noir, et elle s'évanouit.

Lorsque la princesse revint de son évanouissement, et qu'elle réfléchit aux mauvais traitements qu'elle recevait de son indigne marâtre, et à l'espérance qu'elle perdait pour jamais d'épouser le roi Charmant, sa douleur devint si vive qu'elle pleura toute la nuit; en cet état elle se mit à la fenêtre, où elle fut des regrets forts tendres et fort touchants. Quand le jour approcha, elle la ferma et continua de pleurer.

La nuit suivante elle ouvrit la fenêtre, elle poussa de profonds soupirs et des sanglots, elle versa un torrent de larmes; le jour vint, elle se cacha dans sa chambre. Cependant le roi Charmant, ou, pour mieux dire, le bel Oiseau Bleu, ne cessait point de voltiger autour du palais; il jugeait que sa chère princesse y était renfermée, et si elle faisait de tristes plaintes, les siennes ne l'étaient pas moins; il s'approchait des fenêtres le plus qu'il pouvait pour regarder dans les chambres, mais la crainte que Truitonne ne l'aperçût et ne se doutât que c'était lui l'empêchait de faire ce qu'il aurait voulu.

Il y avait, vis-à-vis de la fenêtre où Florine se mettait, un cyprès d'une hauteur prodigieuse; l'Oiseau Bleu vint s'y percher. Il y fut à peine qu'il entendit une personne qui se plaignait.

"Fortune, disait-elle, toi qui me flattais de régner, toi qui m'avais rendu l'amour de mon père, que t'ai-je fait pour me plonger tout d'un coup dans les plus amères douleurs?" L'Oiseau Bleu écoutait, et plus il écoutait, plus il se persuadait que c'était son aimable princesse qui se plaignait. Il lui dit : "Adorable Florine, merveille de nos jours! pourquoi voulez-vous finir si promptement les vôtres? Vos maux ne sont point sans remède.
- Hé! qui me parle, s'écria-t-elle, d'une manière si consolante?
- Un roi malheureux, reprit l'Oiseau, qui vous aime et n'aimera jamais que vous." En achevant ce mots il vola sur la fenêtre. Florine eut d'abord grande peur d'un oiseau si extraordinaire, qui parlait avec autant d'esprit que si'l avait été un homme, quoi qu'il conservât le petit son de voix d'un rossignol; mais la beauté de son plumage et ce qu'il lui dit la rassura. "M'est-il permis de vous revoir, ma princesse? s'écria-t-il. Puis-je goûter un bonheur si parfait sans mourir de joie? Mais, hélas! que cette joie est troublée par votre captivité et l'état où la méchante Soussio m'a réduit pour sept ans!
- Et qui êtes-vous, charmant oiseau, dit la princesse en le caressant?
- Vous avez dit mon nom, ajouta le roi, et vous feignez de ne me pas connaître!
- Quoi! le plus grand roi du monde! Quoi! le roi Charmant, dit la princesse, serait le petit oiseau que je tiens?
- Hélas, belle Florine, il n'est que trop vrai, reprit-il, et, si quelque chose m'en peut consoler, c'est que j'ai préféré cette peine à celle de renoncer à la passion que j'ai pour vous.
-Pour moi! dit Florine. Ah! ne cherchez point à me tromper! Je sais, je sais que vous avez épousé Truitonne; j'ai reconnu votre anneau à son doigt; je l'ai vue toute brillante des diamants que vous lui avez donnés; elle est venue m'insulter dans ma triste prison, chargée d'une riche couronne et d'un manteau royal qu'elle tenait de votre main, pendant que j'étais chargée de chaînes et de fers.
- Vous avez vu Truitonne en cet équipage? interrompit le roi; sa mère et elle ont osé vous dire que ces joyaux venaient de moi? O Ciel! est-il possible que j'entende des mensonges si affreux, et que je ne puisse m'en venger aussitôt que je le souhaite! Sachez qu'elles ont voulu me décevoir, qu'en abusant de votre nom, elle m'ont engagé d'enlever cette laide Truitonne; mais, aussitôt que je connus mon erruer, je voulus l'abandonner, et je choisis enfin d'être oiseau bleu pendant sept ans de suite plutôt que de manquer à la fidélité que je vous ai vouée."

Florine avait pris un plaisir si sensible d'entendre parler son aimable prince qu'elle ne se souvenait plus des malheurs de sa prison. Le jour paraissait, la plupart des officiers étaient déjà levés, que l'Oiseau Bleu et la princesse parlaient encore ensemble; ils se séparèrent avec mille peines, après s'être promis que toutes les nuits ils s'entretiendraient ainsi.

Cependant Florine s'inquiétait pour l'OIseau Bleu. "Qui le garantira des chasseurs, se disait-elle, ou de la serre de quelque aigle ou de quelque vautour affamé, qui le mangera avec autant d'appétit que si ce n'était pas un grand roi? O Ciel! que deviendrais-je si ses plumes légères et fines, poussées par le vent, venaient jusque dans ma prison pour m'annoncer le désastre que je crains?" Cette pensée empêcha que la pauvre princesse ne fermât les yeux.

Le charmant Oiseau, caché dans le creux d'un arbre, avait été tout le jour occupé à penser à sa belle princesse. "Que je suis content, disait-il, de l'avoir retrouvée! qu'elle est engageante! que je sens vivement les bontés qu'elle me témoigne!" Comme il voulait faire à Florine toutes les galanteries dont il était capable, il vola jusqu'à la ville capitale de son royaume; il fut à son palais, il entra dans son cabinet par une vitre qui était cassée; il prit des pendant d'oreilles de diamant si parfaits et si beaux qu'il n'y en avait point au monde qui s'en approchassent; il les apporta le soir à Florine et la pria de s'en parer. "J'y consentirais, lui dit-elle, si vous me voyiez le jour; mais puisque je ne vous parle que la nuit, je ne les mettrai pas." L'Oiseau Bleu lui promit de prendre si bien son temps qu'il viendrait à la tour à l'heure qu'elle voudrait; aussitôt elle mit les pendants d'oreilles, et la nuit se passa à causer comme s'était passée l'autre."



A suivre............ Flower
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Messagepar Marcello » 08 Avr 2008 20:49

Episode 5

"Le lendemain, l'Oiseau Bleu retourna dans son royaume; il fut à son palais; il entra dans son cabinet par la vitre rompue, et il en apporta les plus riches bracelets que l'on eût encore vus : ils étaient d'une seule émeraude taillée en facettes, creusées par le milieu pour y passer la main et le bras.

La nuit suivante, l'Oiseau Bleu ne manqua pas d'apporter à sa princesse une montre d'une grandeur raisonnable, qui était dans une perle; l'excellence du travail surpassait celle de la matière.

Il ne se passait aucun jour sans qu'il fît un présent à Florine : tantôt un collier de perles, ou des bagues des plus brillantes et des mieux mises en oeuvre, des attaches de diamants, des poinçons, des bouquets de pierreries qui imitaient la couleur des fleurs, des livres agréables, des médailles; enfin, elle avait un amas de richesses merveilleuses. Elle ne s'en parait jamais que la nuit, pour plaire au roi, et le jour, n'ayant point d'endroit pour les mettre, elle les cachait soigneusement dans sa paillasse.

Deux années s'écoulèrent ainsi sans que Florine se plaignit une seule fois de sa captivité. Et comment s'en serait-elle plainte? Elle avait la satisfaction de parler toute la nuit au prince qu'elle aimait.

Cependant la malicieuse reine qui la retenait si cruellement en prison faisait d'inutiles effort pour marier Truitonne; elle envoyait des ambassadeurs la proposer à tous les princes dont elle connaissait le nom; dès qu'ils arrivaient on les congédiait brusquement. "S'il s'agissait de la princesse Florine, vous seriez reçus avec joie, leur disait-on; mais nous ne désirons pas entendre parler de Truitonne." A ces nouvelles, la mère et elle s'emportaient de colère contre l'innocente princesse qu'elles persécutaient.

Un soir, il était plus de minuit lorsqu'elles résolurent de montrer dans la tour pour l'interroger. Elle était avec l'Oiseau Bleu à la fenêtre, parée de ses pierreries, coiffée de ses beaux cheveux, avec un soin qui n'est pas naturel aux personnes affligées. La reine écouta à la porte, elle crut entendre chanter un air à deux parties, car Florine avait une voix céleste.

"Ah! ma Truitonne, nous sommes trahies!" s'écria la reine en ouvrant brusquement la porte et se jetant dans la chambre! Que devint Florine à cette vue? Elle poussa promptement sa petite fenêtre pour donner le temps à l'oiseau royal pour s'envoler. Elle était bien plus occupée de sa conservation que de la sienne propre; mais il ne se sentit pas la force de s'éloigner; ses yeux perçants lui avaient découvert le péril où sa princesse était exposée. Il avait vu la reine et Truitonne : quelle affliction de n'être pas en état de défendre sa maîtresse! Elles s'appochèrent d'elle comme des furies qui voulaient la dévorer. "L'on sait vos intrigues contre l'Etat, s'écria la reine; ne pensez pas que votre rang vous sauve des châtiments que vous méritez.
- Et avec qui, madame? répliqua la princesse. N'êtes-vous pas ma geôlière depuis deux ans? Ai-je vu d'autres personnes que celle que vous m'avez envoyées?" Pendant qu'elle parlait, la reine et sa fille l'examinaient avec une surprise sans pareille; son admirable beauté et son extraordinaire parure les éblouissaient. "Et d'où vous viennent, madame, dit la reine, ces pierreries qui brillent plus que le soleil? Nous ferez-vous accroire qu'il y a des mines dans cette tour?
- Je les y ai trouvées, répliqua Florine, c'est tout ce que j'en sais.
- Et pour qui donc, reprit la reine, vous êtes-vous coiffée comme une petite coquette, votre chambre pleine d'odeurs, et votre personne si magnifique qu'au milieu de la cour vous seriez moins parée?
- J'en ai assez de loisir, dit la princesse, il n'est pas extraordinaire que j'en donne quelques moments à m'habiller; j'en passe tant d'autres à pleurer mes malheurs que ceux-là ne sont pas à me reprocher."

La reine la quitta, troublée de tout ce qu'elle venait de voir et d'entendre; elle tint conseil sur ce qu'elle devait faire contre la princesse : on lui dit que si quelque fée ou quelque enchanteur la prenait sous leur protection, le vrai secret pour les irriter serait de lui faire de nouvelles peines, et qu'il serait mieux d'essayer de découvrir son intrigue. La reine approuva cette pensée; elle envoya coucher dans sa chambre une jeune fille qui contrefaisait l'innocente; elle eut ordre de lui dire qu'on la mettait auprès d"elle pour la servir. Mais quelle apparence de donner dans un panneau si grossier? La princesse la regarda comme son espionne. "Quoi! je ne parlerai plus à cet oiseau qui m'est si cher! disait-elle. Il m'aidait à supporter mes malheurs, je soulageais les siens; notre tendresse nous suffisait. Que va-t-il faire? Que ferais-je moi-même?" En pensant à toutes ces choses, elle versait des ruisseaux de larmes."


C'est tout pour ce soir!!!!! Le Roi
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Messagepar Marcello » 09 Avr 2008 15:02

Episode 6

"Elle n'osait plus se mettre à la petite fenêtre quoiqu'elle n'entendit voltiger autour; elle mourait d'envie de lui ouvrir, mais elle craignait d'exposer la vie de ce cher oiseau. Elle passa un mois entier sans paraître. l'oiseau se désespérait. Quelles plaintes ne faisait-il pas! Comment vivre sans voir sa princesse?

L'espionne de la princesse, qui veillait jour et nuit depuis un mois, se sentit si accablée de sommeil qu'enfin elle s'endormit profondément. Florine s'en aperçut; elle ouvrit sa petite fenêtre et dit :

Oiseau Bleu, couleur du temps,
Vole à moi promptement.


Ce sont là ses propres termes, auxquels l'on a rien voulu changer. L'oiseau les entendit si bien qu'il vint promptement sur la fenêtre! Les amitiés et les protestations de fidélité se renouvelèrent mille et mille fois. Enfin, l'heure de se quitter étant venue sans que la geôlière se fût réveillée, ils se dirent l'adieu du monde le plus touchant. Le lendemain encore l'espionne s'endormit; la princesse diligemment se mit à la fenêtre, puis elle dit comme la première fois.

Aussitôt l'oiseau vint, et la nuit se passa comme l'autre, sans bruit et sans éclat. La troisième se passa encore très heureusement; mais pour celle qui suivit, la dormeuse ayant entendu quelque bruit, elle écouta sans faire semblant de rien; puis elle regarda de son mieux, et vit au clair de la lune le plus bel oiseau de l'univers qui parlait à la princesse, qui la caressait avec sa patte, qui la béquetait doucement.

Le jour parut, ils se dirent adieu, et comme s'ils eussent eu un pressentiment de leur prochaine disgrâce, ils se quittèrent avec une peine extrême. La princesse se jetât sur son lit toute baignée de ses larmes, et le roi retourna dans le creux de son arbre. Sa geôlière courut chez la reine, elle lui apprit tout ce quelle avait vu et entendu. La reine envoya quérir Truitonne et ses confidentes; elles raisonnèrent longtemps ensemble, et conclurent que l'Oiseau Bleu était le roi Charmant. "Quel affront! s'écria la reine. Quel affront, ma Truitonne! Cette insolente princesse, que je croyais si affligée, jouissait en repos des agréables conversations de notre ingrat! Ah! je me vengerai d'une manière si sanglante qu'il en sera parlé."


La suite........................si j'veux!!! Chut
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Marcello
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Messagepar Marcello » 09 Avr 2008 22:08

Episode 7

"La reine renvoya l'espionne dans la tour; elle lui ordonna de ne témoigner ni soupçon ni curiosité, et de paraître plus endormie qu'à l'ordinaire. Elle se coucha de bonne heure, elle ronfla de son mieux, et la pauvre princesse déçue, ouvrant la petite fenêtre, s'écria :

Oiseau Bleu, couleur du temps,
Vole à moi promptement


Mais elle l'appela toute la nuit inutilement; il ne parut point : car la méchante reine avait fait attacher au cyprès des épées, des couteaux, des rasoirs, des poignards, et, lorsqu'il vint à tire d'aile s'abattre dessus, ces armes meurtrières lui coupèrent les pieds; il tomba sur d'autres qui lui coupèrent les ailes; et enfin tout percé, il se sauva avec mille peines jusqu'à son arbre, laissant une longue trace de sang.

Que n'étiez-vous là, belle princesse, pour soulager cet oiseau royal? Il ne voulait prendre aucun soin de sa vie, persuadé que c'était Florine qui lui avait fait jouer ce mauvais tour. "Ah! barbare, disait-il douloureusement, est-ce ainsi que tu payes la passion la plus pure et la plus tendre qui sera jamais? Si tu voulais ma mort, que ne me la demandais-tu toi-même? elle m'aurait été chère de ta main. Quoi! tu m'as sacrifié à la plus cruelle des femmes! Elle était notre ennemie commune, tu viens de faire ta paix à mes dépens. C'est toi, Florine, c'est toi qui me poignardes! Tu as emprunté la main de Truitonne, et tu l'as conduite jusque dans mon sein." Ces funestes idées l'accablèrent à tel point qu'il résolut de mourir.

Mais son ami l'enchanteur, qui avait vu revenir chez lui les grenouilles volantes avec le chariot sans que le roi parût, se mit si en peine de ce qui pouvait lui être arrivé qu'il parcourut huit fois toute la terre pour le chercher, sans qu'il lui fût possible de le trouver. Il faisait son neuvième tour, lorsqu'il passa dans le bois où il était, et, selon les règles qu'il s'était prescrites, il sonna du cor assez longtemps, et puis il cria de toute ses forces : "Roi Charmant, roi Charmant, où êtes-vous?" Le roi reconnut la voix de son meilleur ami. "Approchez, lui dit-il, de cet arbre, et voyez le malheureux roi que vous chérissez noyé dans son sang." L'enchanteur, tout surpris, regardait de tous côtés sans rien voir. "Je suis l'Oiseau Bleu, dit le roi d'une voix faible et languissante." A ces mots, l'enchanteur le trouva sans peine dans son petit nid. Un autre que lui aurait été étonné plus qu'il ne le fut; mais il ne lui coûta que quelques paroles pour arrêter le sang qui coulait encore, et avec des herbes qu'il trouva dans le bois, et sur lesquelles il dit deux mots de grimoire, il guérit le roi aussi parfaitement que s'il n'avait pas été blessé.

Il le pria ensuite de lui apprendre par quelle aventure il était devenu oiseau, et qui l'avait blessé si cruellement. Le roi contenta sa curiosité : il lui dit que c'était Florine qui avait décélé le mystère amoureux des visites secrètes qu'il lui rendait, et que, pour faire sa paix avec la reine, elle avait consenti à laisser garnir le cyprès de poignards et de rasoirs par lesquels il avait été presque haché. Le magicien se déchaîna contre elle et contre toutes les femmes; il conseilla au roi de l'oublier. "Quel malheur serait le vôtre, lui dit-il, si vous étiez capable d'aimer plus longtemps que cette ingrate? Après ce qu'elle vient de vous faire, l'on en doit tout craindre."

Le royal oiseau pria son ami de le porter chez lui et de le mettre dans une cage où il fut à couvert de la patte du chat et de toute arme meurtrière . "Mais, lui dit l'enchanteur, resterez-vous encore cinq ans dans un état si déplorable et si peu convenable à vos affaires et à votre dignité? Car, enfin, vous avez des ennemis qui soutiennent que vous êtes mort; ils veulent envahir votre royaume : je crains bien que vous ne l'ayez perdu avant d'avoir recouvré votre première forme.
- Ne pourrais-je pas, répliqua-t-il, aller dans mon palais, et gouverner tout comme je faisais ordinairement?
- Oh! s'écria son ami, la chose est différente! Tel qui veut obéir à un homme ne veut pas obéir à un perroquet; tel vous craint étant roi, étant environné de grandeur et de faste, qui vous arrachera toutes les plumes vous voyant petit oiseau. Mais je ne me rends pas si tôt, dit-il j'espère trouver quelques bons expédients."

Florine, la triste Florine, désespérée de ne plus voir le roi passait les jours et les nuits à sa fenêtre, répétant sans cesse :

Oiseau Bleu, couleur du temps
Vole à moi promptement


La présence de son espionne ne l'en empêchait point; son désespoir était tel qu'elle ne ménageait plus rien. "Qu'êtes-vous devenu, roi Charmant? s'écriait-elle. Nos communs ennemis vous ont-ils fait ressentir les cruels effets de leur rage? Avez-vous été sacrifié à leurs fureurs? Hélas! hélas! n'êtes-vous plus? Ne dois-je plus vous voir? ou, fatigué de mes malheurs, m'avez-vous abandonnée à la dureté de mon sort?"

La reine et Truitonne triomphaient; la vengeance leur faisait plus de plaisir que l'offense ne leur avait fait de peine. Et, au fond, de quelle offense s'agissait-il? Le roi Charmant n'avait pas voulu épouser un petit monstre qu'il avait mille sujets de haïr. Cependant le père de Florine, qui devenait vieux, tomba malade et mourut. La fortune de la méchante reine et de sa fille changea de face : elles étaient regardées comme des favorites qui avaient abusée de leur faveur, le peuple mutiné courut au palais demander la princesse Florine, la reconnaissant pour souveraine. La reine, irritée, voulut traiter l'affaire avec hauteur; elle parut sur le balcon et menaça les mutins. En même temps, la sédition devient générale, on enfonce les portes de son appartement, on le pille et on l'assomme à coups de pierre. Truitonne s'enfuit chez sa marraine la fée Soussio : elle ne courait pas moins de danger que sa mère.

Les grands du royaume s'assemblèrent promptement, et montèrent à la tour, où la princesse était fort malade : elle ignorait la mort de son père et le supplice de son ennemie. Quand elle entendit tant de bruit, elle ne douta pas qu'on ne vînt la prendre pour la faire mourir. Elle n'en fut point effrayée : la vie lui était odieuse depuis qu'elle avait perdu l'Oiseau Bleu. Mais ses sujets, s'étant jetés à ses pieds lui apprirent le changement qui venait d'arriver à sa fortune; elle n'en fut point émue. Ils la portèrent dans son palais et la couronnèrent.

Les soins infinis que l'on prit de sa santé et l'envie qu'elle avait d'aller chercher l'Oiseau Bleu contribuèrent beaucoup à la rétablir, et lui donnèrent bientôt assez de force pour nommer un conseil, afin d'avoir soin de son royaume en son absence; puis elle prit pour des mille millions de pierreries, et elle partit une nuit toute seule, sans que personne sût où elle allait.

L'enchanteur qui prenait soin des affaires du roi Charmant, n'ayant pas assez de pouvoir pour détruire ce que Soussio avait fait, s'avisa de l'aller trouver et de lui proposer quelque accommodement en faveur duquel elle rendrait au roi sa figure naturelle; il prit les grenouilles et vola chez la fée, qui causait dans ce moment avec Truitonne."


La suite......... bientôt :twisted:
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Messagepar Marcello » 10 Avr 2008 12:28

Episode 8

"Il pensa demeurer muet, tant il trouva Truitonne laide; cependant il ne pouvait se résoudre à s'en aller sans régler quelque chose avec elle, parce que le roi avait couru mille risques depuis qu'il était en cage. Le clou qui l'accrochait s'était rompu, la cage était tombé, et sa majesté emplumée souffrit beaucoup de cette chute; Minet, qui se trouva dans la chambre lorsque cet accident arriva, lui donna un coup de griffe dans l'oeil, dont il pensa rester borgne. Le pire de tout cela, c'est qu'il était sur le point de perdre son royaume; ses héritiers faisaient tous les jours des fourberies nouvelles pour prouver qu'il était mort. Enfin l'enchanteur conclut avec sa commère Soussio qu'elle mènerait Truitonne dans le palais du roi Charmant; qu'elle y resterait quelques mois, pendant lesquels il prendrait sa résolution de l'épouser, et qu'elle lui rendrait sa figure, quitte à reprendre celle d'oiseau s'il ne voulait pas se marier.

La fée donna des habits tout d'or et d'argent à Truitonne, puis elle la fit monter en trousse derrière elle sur un dragon, et elles se rendirent au royaume de Charmant qui venait d'y arriver avec son fidèle ami l'enchanteur. En trois coups de baguette il se vit le même qu'il avait été, beau, aimable, spirituel et magnifique; mais il achetait bien cher le temps qu'on diminuait de sa pénitence; la seule pensée d'épouser Truitonne le faisait frémir. L'enchanteur lui disait les meilleurs raisons qu'il pouvait; elles ne faisaient qu'une médiocre impression sur son esprit, et il était moins occupé de la conduite de son royaume que des moyens de prolonger le terme que Soussio lui avait donné pour épouser Truitonne.

Cependant la reine Florine, déguisée sous un habit de paysanne, avec ses cheveux épars et mêlés qui cachaient son visage, un chapeau de paille sur la tête, un sac de toile sur l'épaule, commença son voyage, tantôt à pied, tantôt à cheval, tantôt par mer, tantôt par terre. Elle faisait toute la diligence possible; mais, ne sachant où elle devait tourner ses pas, elle craignait toujours d'aller d'un côté, pendant son aimable serait de l'autre. Un jour qu'elle s'était arrêtée au bord d'une fontaine, dont l'eau argentée bondissait sur de petits cailloux, elle eut envie de se laver les pieds; elle s'assit sur le gazon, elle releva ses blonds cheveux avec un ruban, et mit ses pieds dans le ruisseau. Il passa dans cet endroit une vieille toute voûtée, appuyée sur un gros bâton; elle s'arrêta, et lui dit :" Que faites-vous là, ma belle fille? vous êtes bien seule!
- Ma bonne mère, dit la reine, je ne laisse pas d'être en grande compagnie; car j'ai avec moi les chagrins, les inquiétudes et les déplaisirs." A ces mots, ses yeux se couvrirent de larmes. "Quoi! si jeune, vous pleurez! dit la bonne femme. Ah! ma fille, ne vous affligez pas. Dites-moi ce que vous avez sincèrement, et j'espère vous soulager." La reine le voulut bien : elle lui conta ses ennuis, la conduite que la fée Soussio avait tenue dans cette affaire, et enfin comme elle cherchait l'Oiseau Bleu.


Image



La petite vieille se redresse, s'agence, change tout d'un coup de visage, paraît belle, jeune, habillée superbement; et, regardant la reine avec un souris gracieux : "Incomparable Florine, lui dit-elle, le roi que vous cherchez n'est plus oiseaui, ma soeur Soussio lui a rendu se première figure, il est dans son royaume; ne vous affligez point, vous y arriverez et vous viendrez à bout de votre dessein. Voilà quatre oeufs, vous les casserez dans vos pressants besoins, et vous y trouverez des secours qui vous seront utiles." En achevant ces mots, elle disparut.

Florine se sentit fort consolée de ce qu'elle venait d'entendre; elle mit ces oeufs dans son sac, et tourna ses pas vers le royaume de Charmant.

Après avoir marché huit jours et huit nuits sans s'arrêter, elle arrive au pied d'une montagne prodigieuse par sa hauteur, toute d'ivoire, et si droite que l'on n'y pouvait mettre les pieds sans tomber. Elle fit mille tentatives inutiles : elle glissait, elle se fatiguait, et, désespérée d'un obstacle si insurmontable, elle se coucha au pied de la montagne, résolue de s'y laisser mourir, quand elle se souvint des oeufs que la fée lui avait donnés. Elle en prit un. "Voyons, dit-elle, si elle ne s'est point moquée de moi en me promettant les secours dont j'aurais besoin.?" Dès qu'elle l'eût cassé, elle y trouva des petits crampons d'or qu'elle mit à ses pieds et à ses mains. Quand elle les eut, elle monta la montagne d'ivoire sans aucune peine, car les crampons entraient dedans et l'empêchaient de glisser. Lorsqu'elle fut tout haut, elle eut de nouvelles peines pour descendre; toute la vallée était d'une seule glace de miroir.

La reine ne savait comment faire, car elle voyait un grand péril à, descendre par là, elle cassa un autre oeuf, dont il sortit deux pigeons et un chariot, qui devint en même temps assez grand pour s'y placer commodément; puis les pigeons descendirent légèrement avec la reine, sans qu'il lui arrivât rien de fâcheux. Elle leur dit : "Mes petits amis, si vous vouliez me conduire jusqu'au lieu où le roi Charmant tient sa cour, vous n'obligeriez pas une ingrate."

Les pigeons civils et obéissants ne s'arrêtèrent ni jour ni nuit qu'ils ne fussent arrivés aux portes de la ville. Florine descendit, et leur donna à chacun un doux baiser, plus estimable qu'une couronne.

Oh! que le coeur lui battait en entrant! Elle se barbouilla le visage pour n'être point connue. Elle demande aux passants où elle pouvait voir le roi. Quelques-uns se prirent de rire. "Voir le roi! lui dirent-ils. Hà! que lui veux-tu ma Mie-Souillon? Va, va te décrasser, tu n'as pas les yeux assez bons pour voir un tel monarque.". La reine ne répondit rien; elle s'éloigna doucement et demande encore à ceux qu'elle rencontra où elle se pourrait mettre pour voir le roi. "Il doit venir demain au temple avec la princesse Truitonne, lui dit-on : car enfin il consent à l'épouser."

Ciel! quelles nouvelles! Truitonne, l'indigne Truitonne, sur le point d'épouser le roi! Florine pense mourir. "C'était donc à cause d'elle que l'Oiseau Bleu cessa de venir me voir! disait-elle. C'était pour ce petit monstre qu'il faisait la plus cruelle de toutes les infidélités, pendant qu'abîmée dans la douleur, je m'inquiétais pour la conservation de sa vie! Le traître avait changé, et, se souvenant moins de moi que s'il m'avait jamais vue, il me laissait le soin de m'affliger de sa trop longue absence sans se soucier de la mienne."

Quand on a beaucoup de chagrin, il est rare d'avoir bon appétit; la reine chercha où se loger, et se coucha sans souper. Elle se leva avec le jour, elle courut au temple; elle n'y entra qu'après avoir essuyé mille rebuffades des gardes et des soldats. Elle vit le trône du roi et celui de Truitonne, qu'on regardait déjà comme la reine. Quelle douleur pour une personne aussi tendre et délicate que Florine! Elle s'approcha du trône de sa rivale; elle se tint debout, appuyée contre un pilier de marbre. Le roi vint le premier, plus beau et plus aimable qu'il eût été de sa vie. Truitonne parut ensuite richement vêtue, et si laide qu'elle en faisait peur. Elle regarda la reine en fronçant le sourcil. "Qui es-tu, lui dit-elle, pour oser t'approcher de mon excellente figure, et si près de mon trône d'or?
-Je me nomme Mie-Souillon, répondit-elle; je viens de loin pour vous vendre des raretés." Elle fouilla aussitôt dans son sac de toile, elle en tira les bracelets d'émeraudes que le roi Charmant lui avait donnés. "Oh! oh! dit Truitonne, voilà de jolies verroteries! En veux-tu une pièce de cinq sous?
- Montrez-les, madame, aux connaisseurs, dit la reine, et puis nous ferons notre marché." Truitonne, qui aimait le roi, ravie de trouver des occasions de lui parler, s'avança jusqu'à son trône, et lui montra les bracelets, le priant de lui en dire son sentiment. A la vue de ces bracelets, il se souvint de ceux qu'il avait donné à Florine : il pâlit, il soupira, et fut longtemps sans répondre; enfin, craignant qu'on ne s'aperçut de l'état où ses différentes pensées le réduisaient, il fit un effort, et lui répliqua : "Ces bracelets valent, je crois, autant que mon royaume, je pensais qu'il n'y en avait qu'une paire au monde, mais en voilà de semblables."


Suite au prochain épisode.......... :D
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Marcello
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Messagepar Marcello » 20 Avr 2008 9:37

Episode 9

"Truitonne revint dans son trône, où elle avait une moins bonne mine qu'une huître à l'écaille; elle demanda à le reine combien, sans surfaire, elle voulait de ces bracelets. "Vous auriez trop de peine à me les payer, madame, dit-elle; il vaut mieux vous proposer un autre marché : si vous me voulez procurer de coucher une nuit dans le Cabinet des échos qui est au palais du roi, je vous donnerai mes émeraudes.
- Je le veux bien, Mie-Souillon", dit Truitonne, en riant comme une perdue et montrant des dents plus longues que les défenses d'un sanglier.

Le roi ne s'informa point d'où venaient ces bracelets, moins par indifférence pour celle qui les présentait que par un éloignement invincible qu'il sentait pour Truitonne. Or, il est à propos qu'on sache que, pendant qu'il était oiseau bleu, il avait conté à la princesse qu'il y avait sous son appartement un cabinet qu'on appelait le Cabinet des échos, qui était si ingénieusement fait que tout ce qui s'y disait fort bas était entendu du roi lorsqu'il était couché dans sa chambre; et, comme Florine voulait lui reprocher son infidélité, elle n'en avait point imaginé de meilleur moyen.

On la mena dans le cabinet par ordre de Truitonne : elle commença ses plaintes et ses regrets. "Le malheur dont je voulais douter n'est que trop certain, cruel Oiseau Bleu! dit-elle. Tu m'as oubliée, tu aimes mon indigne rivale. Les bracelets que j'ai reçus de ta déloyale main n'ont pu me rappeler à ton souvenir, tant j'en suis éloignée." Alors les sanglots interrompirent ses paroles, et quand elle eut assez de force pour parler, elle se plaignit encore et continua jusqu'au jour. Les valets de chambre l'avaient entendue toute la nuit gémir et soupirer : ils le dirent à Truitonne, qui lui demanda quel tintamarre elle avait fait. La reine lui dit qu'elle dormait si bien qu'ordinairement elle rêvait et parlait très souvent tout haut. Pour le roi, il ne l'avait point entendue par une fatalité étrange. C'est que, depuis qu'il avait aimé Florine, il ne pouvait plus dormir; et, lorsqu'il se mettait au lit, pour lui faire prendre quelque repos, on lui donnait de l'opium.

La reine passa une partie du jour dans une étrange inquiétude. "S'il m'a entendue, disait-elle, se peut-il une indifférence plus cruelle? S'il ne m'a pas entendue, que ferai-je pour parvenir à me faire entendre?" Il ne se trouvait plus de raretés extraordinaires : car des pierreries sont toujours belles, mais il fallait quelque chose qui piqua le goût de Truitonne : elle eut recours à ses oeufs. Elle en cassa un; aussitôt il en sortit un petit carrosse d'acier poli, garni d'or : il était attelé de six souris vertes, conduites par un raton couleur de rose, et le postillon, qui était aussi de famille ratonnienne, était gris de lin. Il y avait dans ce carrosse quatre marionnettes qui faisaient des choses surprenantes, particulièrement deux petites égyptiennes, qui, pour danser la sarabande et les passe-pieds, ne l'auraient pas cédé à Leance.

La reine demeura ravie de ce nouveau chef-d'oeuvre; elle ne dit mot jusqu'au soit, qui était l'heure que Truitonne allait à la promenade; elle se mit dans une allée, faisant galoper ces souris, qui traînaient le carrosse, les ratons et les marionnettes. Cette nouveauté étonna si fort Truitonne qu'elle s'écria deux ou trois fois : "Mie-Souillon, Mie-Souillon, veux-tu cinq sous du carrosse et de ton attelage souriquois?
- Demandez aux gens de lettres et aux docteurs de ce royaume, dit Florine, ce qu'une telle merveille peut valoir, et je m'en rapporterai à l'estimation du plus savant." Truitonne, qui était absolue en tout, lui répliqua : "Sans m'importuner plus longtemps de ta crasseuse présence, dis-m'en le prix.
-Dormir encore dans le Cabinet des échos, dit-elle, est tout ce que je demande.
- Va, pauvre bête, répliqua Truitonne, tu n'en seras pas refusée"; et, se tournant vers ses dames : "Voilà une sotte créature, dit-elle, de retirer si peu d'avantage de ses raretés."

La nuit vint, Florine dit tout ce qu'elle pût imaginer de plus tendre, et elle le dit aussi inutilement qu'elle avait déjà fait, parce que le roi ne manquait jamais de prendre son opium. Les valets de chambre disaient entre eux : "Sans doute cette paysanne est folle; qu'est-ce qu'elle raisonne toute la nuit?" Elle attendait impatiemment le jour pour voir quel effet ses discours auraient produit. "Quoi! ce barbare est devenu sourd à ma voix? disait-elle. Il n'entend plus sa chère Florine! Ah! quelle faiblesse de l'aimer encore! Que je mérite bien les marques de mépris qu'il me donne!" Mais elle y pensait inutilement, elle ne pouvait se guérir de sa tendresse. Il n'y avait plus qu'un oeuf dans son sac dont elle put espérer du secours; elle le cassa, il en sortit un pâté de six oiseaux qui étaient bardés, cuits, et fort bien apprêtés; avec cela ils chantaient merveilleusement bien, disaient la bonne aventure, et savaient mieux la médecine qu'Esculape. La reine resta charmée d'une chose si admirable; elle fut avec son pâté parlant dans l'antichambre de Truitonne."

Bientôt....................la fin!!!
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Messagepar Marcello » 20 Avr 2008 21:04

Dernier épisode

"Comme elle attendait qu'elle passa, un des valets de chambre du roi s'approcha d'elle et lui dit : "Ma Mie-Souillon, savez-vous bien que, si le roi ne prenait pas de l'opium pour dormir, vous l'étourdiriez assurément? car vous jasez la nuit d'une manière surprenante." Florine ne s'étonna plus de ce qu'il ne l'avait pas entendue; elle fouilla dans son sac, et lui dit : "Je crains si peu d'interrompre le repos du roi que, si vous voulez ne point lui donner d'opium ce soir, en cas que je couche dans ce même cabinet, toutes ces perles et ces diamants seront pour vous." Le valet de chambre y consentit, et lui en donna sa parole.

A quelque moment de là Truitonne vint; elle aperçut le reine avec son pâté, qui feignait de vouloir le manger. "Que fais-tu là, ma Mie-Souillon? lui dit-elle.
- Madame, répliqua Florine, je mange des astrologues, des musiciens et des médecins." En même temps tous les oiseaux se mettent à chanter plus mélodieusement que des sirènes; puis ils s'écrièrent : "Donnez la pièce blanche, et nous vous dirons votre bonne aventure." Truitonne, plus surprise de tant de merveilles qu'elle l'eût été de ses jours jura : "Par la vertuchou, voilà un excellent pâté! je le veux avoir. Cà, çà, Mie-Souillon, que t'en donnerais-je?
- Le prix ordinaire, dit-elle : coucher dans le Cabinet des échos, et rien d'avantage.
- Tiens, dit généreusement Truitonne (car elle était de belle humeur par l'acquisition d'un tel pâté), tu en auras une pistole." Florine, plus contente qu'elle eût encore été, parce qu'elle espérait que le roi l'entendrait, se retira en la remerciant.

Dès que la nuit parut, elle se fit conduire dans le cabinet, souhaitant avec ardeur que le valet de chambre tint parole, et qu'au lieu de donner de l'opium au roi, il lui présenta quelque chose d'autre qui put le tenir éveillé. Lorsqu'elle crut que chacun s'était endormi, elle commença ses plaintes ordinaires. "A combien de périls me suis-je exposée, disait-elle, pour te chercher, pendant que tu me fuis et que tu veux épouser Truitonne! Que t'ai-je donc fait, cruel, pour oublier tes serments? Souviens-toi de la métamorphose, de mes bontés, de nos tendres conversations." Elle les répéta presque toutes, avec une mémoire qui prouvait assez que rien ne lui était plus cher que ce souvenir.

Le roi ne dormait point, et il entendait distinctement la voix de Florine et toutes ses paroles qu'il ne pouvait comprendre d'où elles venaient; mais son coeur, pénétré de tendresse, lui rappela si vivement l'idée de son incomparable princesse qu'il sentit sa séparation avec la même douleur qu'au moment où les couteaux l'avaient blessé sur le cyprès; il se mit à parler de son côté comme la reine avait fait du sien. "Ah! princesse, dit-il, trop cruelle pour un amant qui vous adorait! est-il possible que vous m'ayez sacrifié à nos communs ennemis?" Florine entendit ce qu'il disait, et ne manqua pas de lui répondre, et de lui apprendre que, s'il voulait entretenir la Mie-Souillon, il serait éclairci de tous les mystères qu'il n'avait pu pénétrer jusqu'alors. A ces mots, le roi impatient appela un de ses valets de chambre, et lui demande s'il ne pouvait point trouver Mie-Souillon et l'amener. Le valet de chambre répliqua que rien n'était plus aisé, parce qu'elle couchait dans le Cabinet des échos.

Le roi ne savait qu'imaginer. Quel moyen de croire qu'une si grande reine que Florine fût déguisée en Mie-Souillon? Et quel moyen de croire que Mie-Souillon eût la voix de la reine, et sût des secrets si particuliers, à moins que ce ne fût elle-même? Dans cette incertitude il se leva, et, s'habillant avec précipitation, il descendit par un degré dérobé dans le Cabinet des échos, dont la reine avait ôté la clef; mais le roi en avait une qui ouvrait toutes les portes du palais.

Il la trouva avec une légère robe de taffetas blanc qu'elle portait sous ses vilains habits; ses beaux cheveux couvraient ses épaules; elle était couchée sur un lit de repos, et une lampe un peu éloignée ne rendait qu'une lumière sombre. Le roi entra tout d'un coup, et son amour l'emportant sur son ressentiment, dès qu'il la reconnut il vint se jeter à ses pieds, il mouilla ses mains de ses larmes, et pensa mourir de joie, de douleur, et de mille pensées différentes qui lui passèrent en même temps dans l'esprit.

La reine ne demeura pas moins troublée; son coeur se serra, elle pouvait à peine soupirer : elle regardait fixement le roi sans rien lui dire; et, quand elle eût eu la force de lui parler, elle n'eût pas eu celle de lui faire des reproches; le plaisir de le revoir lui fit oublier pour quelque temps les sujets de plaintes qu'elle croyait avoir. Enfin, ils s'éclaircirent, ils se justifièrent, leur tendresse se réveilla; et tout ce qui les embarrassait, c'était la fée Soussio.

Mais dans ce moment l'enchanteur qui aimait le roi arriva avec une fée fameuse : c'était justement celle qui donna les quatre oeufs à Florine. Après les premiers compliments, l'enchanteur et la fée déclarèrent que, leurs pouvoirs étant unis en faveur du roi et de la reine, Soussio ne pouvait rien contre eux, et qu'ainsi leur mariage ne recevrait aucun retardement.

Ces nouvelles allèrent jusqu'à Truitonne; elle accourut chez le roi : quelle surprise d'y trouver sa belle rivale! Dès qu'elle voulut ouvrir la bouche pour lui dire des injures, l'enchanteur et la fée parurent qui la métamorphosèrent en truie, afin qu'il lui restât au moins une partie de son nom et de son naturel grondeur. Elle s'enfuit toujours en grognant jusque dans la basse-cour, où de longs éclats de rire que l'on fit sur elle achevèrent de la désespérer.

Le roi Charmant et la reine Florine, délivrés d'une personne si odieuse, ne pensèrent plus qu'à la fête de leurs noces; il est aisé de juger de leur félicité après de si longs malheurs."


Ce conte est extrait du livre intitulé "Il était une fois........ vieux conte français" aux éditions Flammarion et les illustrations sont d'Adrienne Ségur.
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