Gentile Bellini (1428 – 1507) et le portrait de Mehmet II.
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Gentile Bellini, peintre officiel de la Seigneurie à Venise, réalisa ce portrait pendant son séjour à la cour ottomane de 1479 à 1481. L’œuvre jouit à juste titre d’une grande célébrité. Elle reflète la nature et les modalités des relations diplomatiques entre la cité italienne et l’empire ottoman à la fin du XVe siècle, en même temps que le climat cosmopolite qui régnait à la cour de Mehmet II (1451-1481), féru de culture occidentale. Le sultan est présenté en buste à l’intérieur d’une arcature reposant sur un soubassement de marbre couvert d’une étoffe luxueuse. Richement vêtu, il se détache sur un arrière-plan sombre, sous une arcade très décorée. La composition est rigoureuse. La profondeur est créée par l’architecture peinte du premier plan, selon un dispositif hérité des stèles romaines antiques et de la peinture flamande du XVe siècle. Deux groupes de trois couronnes, repris des médailles en bronze dessinées par Bellini pour Mehmet II, quelques années plus tôt, occupent les angles supérieurs de la toile, symboles de l’étendue du pouvoir ottoman sur la Grèce, l’Asie et Trébizonde. L’arc et les piliers sont décorés de motifs du répertoire du quattrocento vénitien, présents dans le décor architectural et dans la peinture de la fin du XVe siècle. L’étoffe brodée et incrustée de joyaux où figure une couronne reflète le goût alors très développé pour les riches textiles, à Venise comme chez les Ottomans. Elle introduit dans le tableau une grande préciosité, renforcée par la finesse des dorures décorant l’arcade. C’est un véritable écrin pour la représentation. La position en buste de trois-quarts confère une réelle vitalité à ce portrait d’un homme âgé, dont on annonçait alors déjà la fin du règne à la cour ottomane. Ce choix est une innovation dans la carrière de Bellini : ses modèles étaient auparavant peints de profil dans une position hiératique héritée de l’art de la médaille. Un soin tout particulier a été apporté au rendu des textures du vêtement et du turban. Leur douceur et leur velouté contraste avec les lignes fines, presque acérées, du contour du visage émacié, barbu et moustachu, au nez aquilin et aux fins sourcils. Le portrait propose un véritable rendu psychologique, reflet de l’âme d’un personnage âgé au regard et aux traits encore empreints de vivacité, celui-là même qui avait fait plier Constantinople en 1453, comme le rappelle l’inscription Victor orbis : « conquérant du monde ». Ce tableau connut une réelle postérité dans les représentations de Mehmet II en Italie, où l’œuvre retourna probablement dès le XVIe siècle, peut-être vendue par son fils Bâyâzid II ; son influence est perceptible jusqu’à Nevers au XVIIe siècle. On peut établir par ailleurs des rapprochements formels entre le visage du sultan tel qu’il est ici traité et d’autres portraits du même souverain, réalisés par des artistes turcs à la même époque, dont Nakkas Sinan Beg, et, Nigari. Plus largement, c’est la peinture occidentale qui s’immisce dès lors dans l’art de la peinture turque : le cadrage resserré sera ainsi réutilisé dans le portrait de Barberousse réalisé par Nigari au milieu du XVIe siècle. Une grande attention sera accordée au rendu des textures, et les visages seront empreints d’un certain réalisme. Ainsi est annoncé l’important essor que connut le genre du portrait au XVIe siècle sous les patronages de Soliman et Murâd III, bien qu’il soit à l’origine en contradiction avec les préceptes de l’islam. Cette vogue ne se limita pas à la Turquie ottomane : les souverains de l’Iran safavide et de l’Inde moghole furent également les sujets de nombreuses œuvres peintes. (Le tableau appartient à la "National Gallery" de Londres).
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