Episode 8
"Il pensa demeurer muet, tant il trouva Truitonne laide; cependant il ne pouvait se résoudre à s'en aller sans régler quelque chose avec elle, parce que le roi avait couru mille risques depuis qu'il était en cage. Le clou qui l'accrochait s'était rompu, la cage était tombé, et sa majesté emplumée souffrit beaucoup de cette chute; Minet, qui se trouva dans la chambre lorsque cet accident arriva, lui donna un coup de griffe dans l'oeil, dont il pensa rester borgne. Le pire de tout cela, c'est qu'il était sur le point de perdre son royaume; ses héritiers faisaient tous les jours des fourberies nouvelles pour prouver qu'il était mort. Enfin l'enchanteur conclut avec sa commère Soussio qu'elle mènerait Truitonne dans le palais du roi Charmant; qu'elle y resterait quelques mois, pendant lesquels il prendrait sa résolution de l'épouser, et qu'elle lui rendrait sa figure, quitte à reprendre celle d'oiseau s'il ne voulait pas se marier.
La fée donna des habits tout d'or et d'argent à Truitonne, puis elle la fit monter en trousse derrière elle sur un

on, et elles se rendirent au royaume de Charmant qui venait d'y arriver avec son fidèle ami l'enchanteur. En trois coups de baguette il se vit le même qu'il avait été, beau, aimable, spirituel et magnifique; mais il achetait bien cher le temps qu'on diminuait de sa pénitence; la seule pensée d'épouser Truitonne le faisait frémir. L'enchanteur lui disait les meilleurs raisons qu'il pouvait; elles ne faisaient qu'une médiocre impression sur son esprit, et il était moins occupé de la conduite de son royaume que des moyens de prolonger le terme que Soussio lui avait donné pour épouser Truitonne.
Cependant la reine Florine, déguisée sous un habit de paysanne, avec ses cheveux épars et mêlés qui cachaient son visage, un chapeau de paille sur la tête, un sac de toile sur l'épaule, commença son voyage, tantôt à pied, tantôt à cheval, tantôt par mer, tantôt par terre. Elle faisait toute la diligence possible; mais, ne sachant où elle devait tourner ses pas, elle craignait toujours d'aller d'un côté, pendant son aimable serait de l'autre. Un jour qu'elle s'était arrêtée au bord d'une fontaine, dont l'eau argentée bondissait sur de petits cailloux, elle eut envie de se laver les pieds; elle s'assit sur le gazon, elle releva ses blonds cheveux avec un ruban, et mit ses pieds dans le ruisseau. Il passa dans cet endroit une vieille toute voûtée, appuyée sur un gros bâton; elle s'arrêta, et lui dit :" Que faites-vous là , ma belle fille? vous êtes bien seule!
- Ma bonne mère, dit la reine, je ne laisse pas d'être en grande compagnie; car j'ai avec moi les chagrins, les inquiétudes et les déplaisirs." A ces mots, ses yeux se couvrirent de larmes. "Quoi! si jeune, vous pleurez! dit la bonne femme. Ah! ma fille, ne vous affligez pas. Dites-moi ce que vous avez sincèrement, et j'espère vous soulager." La reine le voulut bien : elle lui conta ses ennuis, la conduite que la fée Soussio avait tenue dans cette affaire, et enfin comme elle cherchait l'Oiseau Bleu.
La petite vieille se redresse, s'agence, change tout d'un coup de visage, paraît belle, jeune, habillée superbement; et, regardant la reine avec un souris gracieux : "Incomparable Florine, lui dit-elle, le roi que vous cherchez n'est plus oiseaui, ma soeur Soussio lui a rendu se première figure, il est dans son royaume; ne vous affligez point, vous y arriverez et vous viendrez à bout de votre dessein. Voilà quatre oeufs, vous les casserez dans vos pressants besoins, et vous y trouverez des secours qui vous seront utiles." En achevant ces mots, elle disparut.
Florine se sentit fort consolée de ce qu'elle venait d'entendre; elle mit ces oeufs dans son sac, et tourna ses pas vers le royaume de Charmant.
Après avoir marché huit jours et huit nuits sans s'arrêter, elle arrive au pied d'une montagne prodigieuse par sa hauteur, toute d'ivoire, et si droite que l'on n'y pouvait mettre les pieds sans tomber. Elle fit mille tentatives inutiles : elle glissait, elle se fatiguait, et, désespérée d'un obstacle si insurmontable, elle se coucha au pied de la montagne, résolue de s'y laisser mourir, quand elle se souvint des oeufs que la fée lui avait donnés. Elle en prit un. "Voyons, dit-elle, si elle ne s'est point moquée de moi en me promettant les secours dont j'aurais besoin.?" Dès qu'elle l'eût cassé, elle y trouva des petits crampons d'or qu'elle mit à ses pieds et à ses mains. Quand elle les eut, elle monta la montagne d'ivoire sans aucune peine, car les crampons entraient dedans et l'empêchaient de glisser. Lorsqu'elle fut tout haut, elle eut de nouvelles peines pour descendre; toute la vallée était d'une seule glace de miroir.
La reine ne savait comment faire, car elle voyait un grand péril à , descendre par là , elle cassa un autre oeuf, dont il sortit deux pigeons et un chariot, qui devint en même temps assez grand pour s'y placer commodément; puis les pigeons descendirent légèrement avec la reine, sans qu'il lui arrivât rien de fâcheux. Elle leur dit : "Mes petits amis, si vous vouliez me conduire jusqu'au lieu où le roi Charmant tient sa cour, vous n'obligeriez pas une ingrate."
Les pigeons civils et obéissants ne s'arrêtèrent ni jour ni nuit qu'ils ne fussent arrivés aux portes de la ville. Florine descendit, et leur donna à chacun un doux baiser, plus estimable qu'une couronne.
Oh! que le coeur lui battait en entrant! Elle se barbouilla le visage pour n'être point connue. Elle demande aux passants où elle pouvait voir le roi. Quelques-uns se prirent de rire. "Voir le roi! lui dirent-ils. Hà ! que lui veux-tu ma Mie-Souillon? Va, va te décrasser, tu n'as pas les yeux assez bons pour voir un tel monarque.". La reine ne répondit rien; elle s'éloigna doucement et demande encore à ceux qu'elle rencontra où elle se pourrait mettre pour voir le roi. "Il doit venir demain au temple avec la princesse Truitonne, lui dit-on : car enfin il consent à l'épouser."
Ciel! quelles nouvelles! Truitonne, l'indigne Truitonne, sur le point d'épouser le roi! Florine pense mourir. "C'était donc à cause d'elle que l'Oiseau Bleu cessa de venir me voir! disait-elle. C'était pour ce petit monstre qu'il faisait la plus cruelle de toutes les infidélités, pendant qu'abîmée dans la douleur, je m'inquiétais pour la conservation de sa vie! Le traître avait changé, et, se souvenant moins de moi que s'il m'avait jamais vue, il me laissait le soin de m'affliger de sa trop longue absence sans se soucier de la mienne."
Quand on a beaucoup de chagrin, il est rare d'avoir bon appétit; la reine chercha où se loger, et se coucha sans souper. Elle se leva avec le jour, elle courut au temple; elle n'y entra qu'après avoir essuyé mille rebuffades des gardes et des soldats. Elle vit le trône du roi et celui de Truitonne, qu'on regardait déjà comme la reine. Quelle douleur pour une personne aussi tendre et délicate que Florine! Elle s'approcha du trône de sa rivale; elle se tint debout, appuyée contre un pilier de marbre. Le roi vint le premier, plus beau et plus aimable qu'il eût été de sa vie. Truitonne parut ensuite richement vêtue, et si laide qu'elle en faisait peur. Elle regarda la reine en fronçant le sourcil. "Qui es-tu, lui dit-elle, pour oser t'approcher de mon excellente figure, et si près de mon trône d'or?
-Je me nomme Mie-Souillon, répondit-elle; je viens de loin pour vous vendre des raretés." Elle fouilla aussitôt dans son sac de toile, elle en tira les bracelets d'émeraudes que le roi Charmant lui avait donnés. "Oh! oh! dit Truitonne, voilà de jolies verroteries! En veux-tu une pièce de cinq sous?
- Montrez-les, madame, aux connaisseurs, dit la reine, et puis nous ferons notre marché." Truitonne, qui aimait le roi, ravie de trouver des occasions de lui parler, s'avança jusqu'à son trône, et lui montra les bracelets, le priant de lui en dire son sentiment. A la vue de ces bracelets, il se souvint de ceux qu'il avait donné à Florine : il pâlit, il soupira, et fut longtemps sans répondre; enfin, craignant qu'on ne s'aperçut de l'état où ses différentes pensées le réduisaient, il fit un effort, et lui répliqua : "Ces bracelets valent, je crois, autant que mon royaume, je pensais qu'il n'y en avait qu'une paire au monde, mais en voilà de semblables."
Suite au prochain épisode.......... :D